Living in America

Il est bien évident que les chances que cela arrive sont minces, mais… Avec ce qui arrive avec une fréquence inquiétante dans les écoles des Etats-Unis, je me dis qu’il doit exister quelque part un ou une étudiante qui s’est trouvée, par la plus grande malchance, dans au moins deux tueries différentes. Je fabule? Peut-être pas tant que ça. En fouillant dans l’historique des tueries ayant eu lieu dans des écoles américaines depuis la seule année 1998, on en trouve pas moins de 12 incluant la plus récente à Virginia Tech. C’est pour le moins troublant. J’en conviens, il est fort improbable qu’une même personne se soit trouvée à au moins deux de ces endroits au moment des drames, mais au pays de l’Oncle Sam, l’impossible est en vente tous les jours chez Wal-Mart. Ainsi, je ne serai pas surpris outre mesure le jour où j’apprendrai qu’une telle histoire existe réellement, qu’un ou une étudiante a eu l’improbable destin de vivre au moins deux fois un événement semblable.  

Et si on poussait l’exercice un peu plus loin? Je prends une jeune fille, fictive dans la mesure du possible. Au nom typiquement américain, comme Lisa, par exemple. À 6 ans, Lisa est au primaire quand un jeune garçon du même âge provoque la mort d’une fillette dans la classe voisine. Je fabule? C’est pourtant arrivé le 29 février 2000, à Buell, au Michigan. Traumatisés, les parents de Lisa déménagent dans l’espoir de fuir les souvenirs d’une telle violence. Des années passent et l’événement s’oublie peu à peu. Mais à 12 ans, Lisa sort comme tous ses camarades lorsque l’alarme de feu retentit. C’était un piège tendu par deux garçons de 11 et 13 ans qui ouvrent le feu, embusqués dans la cour de récréation. Je fabule encore? Malheureusement, c’est ce qui s’est réellement passé le 24 mars 1998 à Jonesboro en Arkansas. Lisa a échappé aux balles, mais ses parents ne tiennent pas à revivre pareil drame et ils tentent à nouveau leur chance ailleurs. Trois ans plus tard, Lisa fête son quinzième anniversaire lorsqu’un élève ouvre le feu dans son lycée, tuant deux élèves et en blessant 25 autres. Vous ne devinez pas? C’est arrivé le 21 mai 1998 à Springfield, Oregon. En proie à une dépression nerveuse, les parents de Lisa se font conseiller l’air montagneux du Colorado et déménagent donc à Littleton, près de Denver. Deux étudiants bien connus de Lisa (elle avait même espéré fréquenter l’un d’entre eux par le passé) se pointent à l’école armés de revolvers et de plus de trente bombes artisanales avant de tuer 12 élèves et un professeur. Ça ressemble à Columbine, vous dites? Avec raison. Ça se passait le 20 avril 1999.  

Lisa est malgré tout parvenu à l’âge adulte et le temps d’aller à l’université est arrivé. Inspirée par cet afflux d’hémoglobine sur son passage, Lisa entreprend de devenir infirmière. Tout va pour le mieux dans son cas, mais un de ses camarades, frustré de ne pas pouvoir passer ses examens, tue trois personnes dont deux professeurs sur le campus de l’université. Exactement comme à Tucson, en Arizona, le 28 octobre 2002. Cette fois, par contre, Lisa a eu chaud. La scène a eu lieu devant ses yeux et elle connaissait chacune des victimes en plus du tueur. Elle décide donc de changer de branche et se lance dans le droit, se disant qu’elle pourra servir une belle cause en travaillant à envoyer en prison à tout jamais ceux qui commettent de tels actes sans arriver à mettre fin à leurs jours, comme Kip Kinkel, condamné à 112 ans de prison alors qu’il n’avait que 15 ans. Lisa va donc étudier à Harvard. Mais un jour, profitant d’un congé, elle va rejoindre son amoureux en Virginie lorsque…  

L’histoire ne dit pas ce qui arrive par la suite. Mais ce qui m’intrigue au plus haut point, c’est de savoir ce qu’une personne ayant eu un (improbable) destin comme Lisa pense de tels événements. À force d’être témoin et témoin « privilégiée » en quelque sorte, n’aurait-t-elle pas une impression de banalité face à ces massacres répétés? Si pour certains, chaque tuerie reste un événement isolé et ayant de très faibles chances de survenir, pour notre malheureuse étudiante fictive, est-ce devenu de la routine? Qu’a de si extraordinaire un événement se répétant aussi souvent?  

Un tel drame choque encore et toujours. Mais à voir la couverture médiatique, à lire les différents articles et à entendre les commentaires des prétendus experts, j’en viens à me demander si nous ne devenons pas un peu moins sensibles chaque fois. Il y a une semaine, 32 personnes tombaient sous les balles. La prochaine fois, ce sera peut-être 50. Qu’adviendra-t-il lorsqu’un nouveau tireur fou ne fera « que » 2 ou 3 victimes? Ou pire : une seule? À partir de quand perdra-t-on nos repères qui nous aident à comprendre que chaque victime est une victime de trop? À moins qu’on ne les ait déjà perdus… Un « détail » continue de me déranger, par contre. Avec toutes ces tueries, mêmes celles qui ont eu lieu chez nous, à la Polytechnique, au Collège Dawson, même à l’Assemblée Nationale, je suis perturbé par le fait que malgré l’horreur des actes qu’ils ont commis, les tueurs sont connus de chacun de nous. Les victimes, par contre, restent plutôt inconnues et rares sont ceux qui seraient en mesure de nous les nommer sans avoir à faire de recherche au préalable. Voilà un constat qu’il est malheureusement facile à faire et qui est loin, très loin de me rassurer.

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