J’ai un ami – je le salue car il se reconnaîtra – qui, chaque fois que quelque chose cloche dans la société, met le blâme sur la ville de Montréal. Vous l’aurez deviné, c’est un heureux banlieusard. Tout ce qui arrive de mal est de la faute de la ville : meurtres, viols, pédophiles, enlèvements, rien de tout cela n’existe en banlieue. Pire encore : rien de tout cela ne peut avoir été perpétré par un individu habitant la banlieue, comme si son esprit était pur du simple fait qu’il n’ait pas élu domicile à Montréal. Étrangement, il n’a jamais abordé avec moi le sujet de la récente crise d’invasion de domicile et il y a de fortes chances que ce soit simplement parce qu’elle avait eu lieu, en grande partie, dans les banlieues environnantes.
Je ne lui ai pas encore annoncé que l’autre matin, un vibrant coup de fil passé chez moi à 8h30 du matin s’est avéré être un téléphone obscène. Il l’apprendra en lisant ces mots. J’imagine fort bien sa réaction si j’avais la chance de lui raconter l’anecdote en personne. Il me dirait sans doute : « Bah, c’est ça, Montréal. C’est plein de fous, à Montréal! ». Il ne pourrait dire autre chose, puisque c’est là un de ses arguments favoris. La pollution? C’est Montréal. Le crime? Montréal. Le réchauffement de la planète? Montréal! Les extra-terrestres? Montréal! Le triangle des Bermudes? Encore Montréal! Alors, les téléphones obscènes, vous pensez… Je le laisserais donc me le dire, que dis-je, me le répéter, si ça peut bien lui faire plaisir. Je répondrais des « oui, sans doute » sans conviction, j’accuserais réception de ses « Y’a rien qu’à Montréal qu’on trouve de pareils fous » et autres « Ça n’arriverait pas, ça, en banlieue! ». Quand mes oreilles seraient sur le point de siller, c’est là que ça se passerait. Je lui sortirais mon argument numéro 41 bis, celui qu’on utilise dans les cas d’urgence, celui que même l’ONU a déclaré comme étant international et qu’on s’apprête à intégrer dans le code morse.
Après avoir absorbé sa décharge habituelle contre la ville que j’habite, je prendrais une pause, je sourirais téléphoniquement et je la lui flasherais comme l’inspecteur Columbo quand il dit à son suspect favori qu’il a une crotte de chien collé à la chaussure.
« Le numéro du demandeur était le 450-***-****.» J’imagine déjà le silence de mon ami, abasourdi, incapable de le croire, essayant en vain de balbutier de vagues syllabes incohérentes, puis trouvant finalement la force de lancer un profond : « C’est une blague » auquel il tenterait de croire désespérément. J’éclaterais sans doute de rire, sachant à quel point cet instant est savoureux, l’instant d’hésitation où il ignore complètement si je lui fais une blague ou si je suis sérieux comme un pape. Je serais évidemment forcé de lui avouer la triste vérité, du moins triste à ses yeux, l’appel venait effectivement du 450… De la banlieue!!! Incapable de le croire, il chercherait sans doute à s’accrocher à un espoir quelconque, me lançant éventuellement « Ça doit être un numéro à Laval! » comme si cette possibilité enlevait un peu de saleté à l’horrible nouvelle. Mais une fois de plus, il serait déçu : l’appel provenait de nulle part ailleurs que la rive-sud. Une fois le dur choc avalé, il chercherait à savoir de quelle banlieue située au sud de Montréal provenait ce perturbant appel. Ce serait là son seul moment de réjouissance, puisque le pervers n’habiterait pas SA banlieue. Mais une banlieue, quelle qu’elle soit, ne représente-t-elle pas toutes les banlieues? Évidemment. Elles ne sont pas identiques pour rien! Si un tel individu, aussi louche que suspect, habitait une banlieue qui n’était pas la sienne, sans doute existait-il un individu semblable hantant les rues de sa banlieue! Quel cauchemar!!!
Voilà donc une dure et amère déception pour mon ami vivant en « banlieusie ». Montréal ne peut être tenue responsable de tous les maux, de tous les vices qui affligent cette société. Oh, certes, il m’argumenterait sans doute que l’individu était peut-être chez un ami, qu’il était fort probablement originaire de Montréal, etc… Mais le dommage serait fait. Au fond de lui, il saurait que ses arguments ne tiennent plus la route. C’est toujours plate de décevoir un ami, mais c’est quand même moins plate que de l’entendre toujours frapper à coups de massue sur ma ville pour expliquer tout ce qui est déplorable dans notre existence.
Je laisse le mot de la fin au chanteur Xavier Caféine, qui a affirmé lors de son passage à Tout le monde en parle, que : « le pourcentage d’épais est le même à Montréal qu’en région et le pourcentage de gens intéressants est le même aussi ». Autrement dit, Montréal n’a pas l’exclusivité des tordus, des bandits, violeurs, pédophiles, meurtriers et autres pervers de tous azimuts. Et donc, qu’on trouve tout autant de danger dans le 450! Seulement, il se cache derrière des apparences faussement rassurantes, ce qui le rend probablement plus sournois. Comme quoi la banlieusie n’offre pas que des avantages…