Le steak aux oeufs

Non, cela n’a rien à voir avec le bœuf aux choux, non plus que les truites au caramel. Aucun rapport non plus avec les chips aux papillons. Quoiqu’on en pense, pas de lien non plus avec les mister-freeze qui goûtent le gaz ou la lasagne qui joue du piano. Et bien que ce fût un steak, celui-ci n’avait aucun lien de parenté avec la gomme au steak et encore moins avec la gomme en bois. Je ne veux pas parler ici des Denis Drolet, mais du restaurant portugais « Doval », où j’ai pu savourer – le mot est peut-être un peu fort – un repas digne de l’univers des hommes en brun : un steak aux œufs!  

Ce n’était pourtant pas ma première escapade dans l’univers gastronomique du Portugal, mais ce fut de loin ma plus renversante. Comme souvent, lorsque je vais dans un resto, le menu était plus limité pour moi que pour la majorité des gens. C’est malgré tout rarement un problème, et ce soir, malgré un choix plutôt restreint, j’avais quand même le choix entre deux steaks, une côte de bœuf, une côte de porc, des côtelettes et un autre plat dont je n’arrive plus à me souvenir. Mon choix s’est donc arrêté sur le steak dit « à la portugaise ». J’imaginais toutes sortes de choses, allant des épices exotiques à  l’accompagnement de légumes tous plus inventifs les uns que les autres sans oublier le riz ou les patates, banal mais ô combien populaire. Il n’en fut strictement rien. Un confit de champignons ou un accompagnement de pommes à la rhubarbe m’eut moins surpris que ce qu’on me servit finalement. Lorsque le plat arriva, je remarquai d’abord les frites, puis le steak en question. Sur le morceau de viande gisait un truc d’origine douteuse, cuit et que l’on n’associe généralement pas avec le mot « steak » : un œuf! J’en suis resté bouche bée pendant un long moment.  

Évidemment, allergie oblige, j’ai « remové » (en franglais dans le texte) l’intrus en le divorçant de force d’avec mon repas principal. « À la portugaise » voulait dire avec un œuf! Délirant! Je ne peux donc même plus faire l’amour « à la portugaise », vous parlez si c’est déprimant… Enfin, j’ai longuement hésité : manger le steak ou faire une scène, mais mon estomac criant famine, j’ai dû céder à ses requêtes de becquetance urgente. Et puis, j’étais inquiet : si je retournais le plat et que j’exigeais d’avoir une côte de bœuf, elle me serait peut-être arrivé trempant dans la bière? Aucune chance à prendre, donc. J’ai coupé un morceau de viande et l’ai senti. Horreur! Il empestait l’œuf à plein nez! Comme l’objet de mon allergie couvrait la viande dans son entièreté, il m’était impossible de « contourner » le problème. J’ai finalement goûté le steak, qui sans être mauvais, avait néanmoins le goût de l’œuf, enfoui loin dans ma mémoire gustative. Ce goût, sans être celui de l’œuf que l’on mange entièrement, est tout de même associé dans mon souvenir à celui de l’œuf dans une certaine mesure. Peut-être était-ce le goût du blanc d’œuf? J’imagine qu’au fond, j’ai été chanceux que l’œuf n’ait pas été « crevé ». J’ai d’ailleurs craint de le faire moi-même par accident en tentant de le décoller de ce qui allait malgré tout être mon repas.  

Rapidement, j’ai réalisé que non seulement je goûtais l’œuf à chaque bouchée, mais que mon morceau de viande avait cuit en même temps et sur la même plaque. Littéralement, ce produit avait été en contact avec des œufs! Qui plus est, en contact direct. Inutile de dire que j’ai évidemment eu une réaction allergique. Deux heures plus tard, en plein cinéma, les étourdissements ont commencé avant de céder leur place à un mal de ventre dont je ne doutais pas un instant la cause. Depuis, je passe de joyeux moments à faire vous-savez-quoi, vous-savez-où. Je vais m’en souvenir, de ce fameux « à la portugaise »!  

Comme si le plat à lui seul n’était pas assez absurde, le serveur a décidé d’en remettre. Mon repas était accompagné d’une salade servie dans un récipient à part. Celle-ci n’étant pas extraordinaire, j’y avais très peu touché. Au moment de ramasser mon assiette alors que je ne mangeais visiblement plus, le serveur est d’abord parti avec ma salade. Puis, il est revenu et me l’a mis sous le nez, en exigeant que je la mange! J’ai eu beau argumenter que j’étais fort plein, il a insisté en argumentant qu’après le repas, « c’est toujours bon de la salade » avant de me tourner le dos, me laissant en tête à tête avec la salade… et l’œuf! Je craignais qu’à son retour, il ne prenne l’œuf et me le foute directement dans la gueule en me menaçant de me priver de dessert si je ne finissais pas toute mon assiette. Quel service!  

Difficile de faire plus absurde! À moins d’aller manger du pâté de chien, des côtes de rastron, des croupions de dinde et des choux-fleurs à la merdre chez la Mère Ubu!!! Mais ça sera pour quand j’aurai le goût de manger « à la polonaise »!

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