La ministre Calinours

La honte, ce soir, en entendant la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Michelle Courchesne, parler des moyens qu’elle a l’intention d’utiliser pour combattre le fléau de l’intimidation à l’école. Elle était invitée à Tout le monde en parle tandis que la disparition d’un jeune adolescent, victime d’intimidation à l’école, continue d’inquiéter la population. Cette triste histoire se déroule au Saguenay.

Je suis autant, sinon plus attristé de cette affaire que ne peut l’être madame la ministre. Mais je suis également atterré de ses propos quand elle se promet d’enrayer ce problème « à tout prix ». Non seulement ses idées sonnent tellement vagues qu’elle ne semble pas y croire elle-même, mais elle a une vision des choses qui permet de voir à quel point elle n’a pas du tout le sens de la réalité.

Pour elle, l’école doit devenir « un lieu d’amour et d’affection ».

Pardon?

Dans quel monde vit-elle? C’est à croire qu’elle est allée à l’école dans une bédé du genre Babar l’éléphant. C’est sidérant d’entendre un tel discours de la part d’une personne responsable de l’éducation au niveau provincial.

Le reste de son plan n’est guère mieux. Elle va enrayer l’intimidation à l’école grâce au dialogue. Ah bon? A-t-elle seulement une petite idée de ce que c’est, que l’intimidation à l’école? À l’écouter, il faut croire qu’elle n’a pas non plus un portrait réaliste de l’école tout court, avec son but d’en faire un lieu d’amour et d’affection. Ce n’est pas la définition d’un bordel, ça?

Madame Claude vous invite à venir voir ses filles dans sa maison de joie, un lieu d’amour et d’affection!

Eh misère…

L’ancienne victime d’intimidation que je suis avait le goût de vomir tout au long de l’entrevue avec notre super ministre. Je n’ai pas eu l’impression une seule seconde qu’elle comprenait quoi que ce soit à ce problème particulier. Au contraire, elle lance des idées qui ne sont en rien une solution, ou alors, à peine.

Les méthodes d’intimidation ont certainement évolué. À mon époque, les jeunes n’avaient pas de cellulaire avec lequel prendre des photos, ou de Ipod à se faire voler et encore moins d’Internet pour salir une réputation. J’ignore si c’était mieux alors ou non, et ce n’est vraiment pas important de toute façon. Mais pour être passé « par là » et avoir vu l’impact absolument dévastateur du dialogue de paix, je ne peux pas m’empêcher de réagir.

Mon père a été un extraordinaire jeteur d’huile sur le feu. Cet être de paix, d’amour et de respect (mon œil…) s’est assuré de m’interdire de répliquer à mes tourmenteurs. Pire : il est venu les voir à l’occasion, dans la cour d’école, afin d’y aller d’un beau discours… d’amour et d’affection, justement. Il forçait mes bourreaux à me serrer la main et à se déclarer mes amis, après quoi il repartait, satisfait. J’aurais voulu que Michelle Courchesne voie la scène dès lors que le paternel disparaissait au loin. On me faisait payer cher l’intervention de mon père, intervention que je n’avais en rien demandée, bien au contraire. Je connaissais trop mes ennemis pour savoir que ce serait un coup d’épée dans l’eau et qui ne mènerait à rien de mieux qu’une avalanche de coups pire que ceux d’avant.

C’est ça qu’elle souhaite, l’ahurissante ministre de l’Éducation? C’est bien naïf de penser de telles choses. Le dialogue qu’elle souhaite entamer n’est malheureusement pas bien dirigé. Les intimidateurs ne sont pas du genre à se faire réprimander et à comprendre qu’il vaut mieux changer d’attitude. Ce sont plutôt des jeunes qui n’ont rien à foutre des adultes qui cherchent à leur imposer un code moral. Sont-ils eux-mêmes victimes à la maison? C’est possible, et alors ils répètent un comportement qu’ils subissent ou déchaînent simplement leur haine d’eux-mêmes sur un autre sans défense.

Le problème n’est pourtant pas difficile à comprendre. Du moins, chez les garçons, car je ne peux pas parler de l’intimidation chez les jeunes filles ne l’ayant pas vécu. On s’en prend à des plus faibles que soi, surtout s’ils sont différents, obèses, roux, bégaiement, etc… Ça ne veut pas dire que tous les roux sont intimidés, ou tous les gros, et que tous les « normaux » sont à l’abri, bien au contraire. Tout le monde est testé. Et dès qu’on en trouve un qui ne réplique pas, qui ne se défend ni verbalement ni physiquement, il devient la nouvelle tête de turc de tout le monde.

C’est pire encore lorsque l’intimidé connaît du succès au niveau scolaire. Pour les gars du primaire et du secondaire, c’est tout à fait normal que les filles soient bonnes à l’école. Mais qu’un gars pète des scores dans des matières autres qu’en gym, ça, ça n’est pas cool. Et alors, on tape dessus autant qu’on peut, on le persécute, on le pourchasse, bref, on le fait chier.

Je délire? Venez m’expliquer d’abord pourquoi je garde une tonne de souvenirs de garçons de mon âge célébrant fièrement leur 63% obtenu dans le travail que le professeur vient de leur remettre. Moi, j’obtenais plutôt des 98%, et jamais ça ne m’a attiré des félicitations des ti-culs autour de moi. À 10 ans. À 13 ans. À 16 ans. Mes récompenses, je vous laisse les imaginer, mais elles se donnaient généralement du bout du pied, ou alors le poing fermé.

Après un monumental échec au privé, lors de mon secondaire I, j’ai fini par opter pour une stratégie que je croyais géniale. Dès mon transfert dans une école publique pour le secondaire II et la suite, j’ai cessé d’obtenir de brillants résultats en faisant intentionnellement baisser mes notes vers des niveaux plus « acceptables », sous la barre des 80%. Plusieurs profs s’en sont rendus compte tout au long de mon cheminement au secondaire, mais je n’allais pas leur donner la preuve qu’ils avaient vu juste puisque les coups physiques avaient à peu pris fin. Je tombais sur un bourreau occasionnel qui s’acharnait sur ma personne pendant quelque temps, mais cela n’avait absolument rien de comparable avec ce que j’avais enduré au cours de mon primaire et de ma seule année au privé.

Puis, est arrivé un cours de gym où deux de mes tourmenteurs à temps partiel sont venus me troubler dans un coin, hors de la vue du professeur. C’est devenu assez physique pour me faire trembler car ça ressemblait de plus en plus à ce que j’avais connu de si pénible. Mais pour une raison que j’ignore, j’ai passé outre les sempiternelles indications paternelles et j’ai fini par répliquer. Oh, rien de bien glorieux, une simple poussée. J’ai poussé un de mes bourreaux. J’ai fait ce geste en craignant pour la suite de mon existence et je me souviens avoir pensé que je vivais là ma dernière journée sur Terre. Sauf qu’il s’est passé quelque chose que je n’aurais jamais au grand jamais anticipé : mes persécuteurs ont cessé leurs tourments et m’ont souri. Souri!!! L’un d’eux m’a ensuite dit à quel point il était content de voir que j’étais capable de me défendre. J’ai eu droit à une tape sur l’épaule, je veux dire une tape amicale, d’encouragement. Un genre de « Tu vas être correct, mon gars ». Ce sont mes propres bourreaux qui m’ont dit ça. C’est majeur.

Ça a été la fin absolue de n’importe quel genre d’abus sur ma personne. On ne m’a plus jamais touché, frappé, tourmenté. Jamais. Et ce n’est pas parce que j’ai pris l’habitude de répliquer, mais bien parce que ce genre de situation déplaisante ne s’est jamais reproduite. Il ne suffisait que de répliquer. Il m’aura fallu longtemps pour le comprendre, mais voilà, je n’ai eu besoin que de le faire une fois et tout a changé drastiquement, et pour le mieux.

Loin de moi l’idée d’imposer à tous ceux qui sont intimidés des cours d’auto-défense ou autres trucs du genre. Ça ne servirait à rien s’ils ont pour principe de ne pas répliquer, ou si quelqu’un à la maison leur a fait jurer de ne jamais se servir de ses poings. Je m’en suis sorti sans donner un coup de poing, mais le simple fait de pousser mon tourmenteur a eu sur lui l’effet absolument contraire à celui que j’avais toujours anticipé.

Dialogue? Amour et affection? Laissez-moi rire, madame la ministre! Tendre l’autre joue? Encore moins. D’ailleurs, tous les professeurs qui étaient témoins de mes malheurs m’encourageaient à répliquer. Il est malheureux que j’aie plutôt choisi d’écouter le seul qui me disait de prêcher par la bonne parole et autres niaiseries. Un prof en particulier avait vu juste quand il avait dit que tant que j’écouterais mon père, je ne m’en sortirais pas. J’ai beaucoup pensé à ce prof le jour où ma réplique m’a valu du respect, du vrai. Dommage qu’on soit pris avec une ministre qui a des projets un peu plus Calinours pour les victimes d’intimidation…

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