Je jouais au crib sur Internet tantôt quand je suis tombé sur une joueuse québécoise, ce qui est plutôt rare à cet endroit. Même si la conversation n’était pas énorme, on a échangé un peu et à un moment donné, elle a demandé mon âge. D’apprendre que j’avais 33 ans a semblé lui foutre un choc. « Je me sens si jeune », a-t’elle répliqué, avant d’avouer qu’elle avait 15 ans.
D’accord. Un autre cas de jeune qui trouve que les trentenaires sont terriblement vieux. Rien de nouveau sous le soleil, donc. Mais au lieu de prendre ça en me froissant comme la plupart des gens qui se font dire par un jeune qu’ils sont vieux, je n’ai pas trop su comment réagir et je me suis abstenu de tout commentaire à cet égard. Mais c’est maintenant que ça me rattrape, et vraiment pas de la façon que j’aurais cru.
Que l’adolescente ait trouvé qu’elle était terriblement jeune à côté de mes 33 ans n’a vraiment rien de surprenant, au fond. Et c’est très loin de me froisser, bien au contraire. Je me sens soudainement proche d’elle. C’est fou, mais c’est ça. Le raisonnement est le suivant : quand j’avais son âge, simplement évoquer l’âge de 30 ans me paraissait insensé, et je n’étais certainement pas le seul. À 15 ans, on trouve le temps tellement long qu’on a l’impression que ça fait mille ans qu’on est en vie et qu’on va à l’école. De s’imaginer qu’un jour on en aura 30, c’est comprendre et accepter qu’il faut vivre l’équivalent de ce qu’on a vécu depuis notre naissance. C’est complètement absurde! Ou enfin, ça nous apparaît comme tel. Ça a été si long de se rendre jusqu’à 15 ans, alors 30, c’est tout juste si on réalise qu’on y sera pourtant bel et bien un jour. « Dans mille ans, peut-être », qu’on doit se dire.
Oui, la fille de 15 ans était très jeune à côté de mes 33 ans. Je la comprends parfaitement d’avoir dit ça. Quand j’y repense, ils sont loin, mes quinze ans. À peine 18 ans selon ceux qui sont beaucoup plus vieux que moi, mais pour moi, c’est énorme, c’est plus que la moitié de ma vie. Et puis il faut arrêter de se raconter n’importe quoi : je ne suis absolument pas en position de clamer que « mes 15 ans, c’est comme si c’était hier ». Ça, ce serait du mensonge pur et dur, de la véritable matière à fabulation mensongère. J’ai beau avoir eu 15 ans, et ça a beau n’être que «18 ans derrière», c’est impossible pour moi de m’en rappeler avec énormément de clarté. Je me souviens de certains trucs, et d’autres m’échappent complètement. C’est à ce point-là.
Bien sûr, certaines choses ont changé. Je ne vois plus, comme à 15 ans, les gens d’un certain âge comme étant des vieux tout ce qu’il y a de plus extrêmement vieux. Mais si j’ajoute 15 années à mon âge actuel, ça donne 48 et ça me paraît aussi loin maintenant que mes 30 ans me semblaient éloignés quand j’en avais quinze. C’est tout juste si je sais maintenant que ça va passer beaucoup plus vite que je ne veux bien le croire. À 15 ans, on trouve le temps long, vraiment long. Ce n’est évidemment plus le cas aujourd’hui, mais je me souviens du feeling comme si c’était hier. Le temps passait tellement lentement que je le passais à trouver qu’il passait trop lentement. Maintenant, ce serait plutôt le contraire : le temps file tellement vite que je n’ose même pas le passer à trouver qu’il passe trop vite, sinon je vais me réveiller et avoir… 48 ans!