Annonçait le téléviseur…
Eh oui, nous y voici, c’est la fin du monde. Ce serait une prédiction des Mayas, ou enfin l’une des nombreuses interprétations faites par divers illuminés en tout genres, prophètes convaincus et mercenaires de la peur qui pullulent un peu partout sur le globe.
Notez, ce n’est absolument pas la première fin du monde. J’avais 15 ou 16 ans lorsqu’une autre de ces prédictions alarmistes avait fait en sorte qu’une partie de la population – infime, mais tout de même – essayait de convaincre l’autre partie que ça y était, que nous vivions nos derniers moments et que la fin du monde était à nos portes. Ça se passait à l’école, où un de nos camarades qui y croyait dur comme fer tentait de nous transmettre son état d’esprit. Je n’avais pas osé embarquer dans son délire, et je me souviens qu’une fois rentré à la maison, je m’étais demandé si ce ne serait pas un peu stupide de faire mes devoirs si réellement la fin du monde était pour se donner en spectacle le soir même. J’eus finalement raison de les faire puisque la représentation n’eut pas lieu ce soir-là, étant probablement remise à une date ultérieure. Un problème de mise en scène, sans doute.
Depuis, il y a eu quelques fins du monde à intervalles réguliers et chaque fois, ce fut la même chose: une poignée de paniqués tentait démesurément de convaincre ceux qui n’en croyaient rien qu’ils regretteraient certainement leur incroyance le moment venu. Mais le moment ne venait jamais. Cela en désespère sans doute quelques-uns, mais d’autres trouvent en eux suffisamment de force ou de folie pour se suicider en groupe au passage extrêmement lointain d’une obscure comète ou à l’arrivée sur le calendrier d’une date marqué dans l’imaginaire collectif de certains d’un « X » potentiellement désastreux. D’autres, comme ce prétendu expert dont j’oublie le nom, finissent par se faire plus discrets au moment de constater que leur prédiction s’est encore avérée fausse et annoncent simplement qu’ils se sont trompés dans leurs calculs.
Du lot, ceux qui se préparent à l’éventualité d’une fin du monde me laissent particulièrement pantois. Ces adeptes du « survivalisme » vivent un peu partout et sont plus ou moins prêts – selon les individus – à faire face à quelque cataclysme que ce soit. Ceux-ci stockent en général de la nourriture, des armes, de l’eau, des batteries et tout ce qu’ils trouvent idéal pour faire face au scénario catastrophe qu’ils imaginent si près d’arriver. Plusieurs se construisent un bunker où ils vivront avec leur famille le jour venu. Et à les écouter, ce jour n’est jamais très loin.
Il semblerait que la mère du jeune qui a commis le plus récent massacre dans une école primaire du Connecticut était de ce genre, convaincue à un point tel que la fin de la civilisation approchait à grands pas qu’en plus de stocker des réserves, elle apprenait à son fils à tirer. Sa fin du monde sera arrivée plus tôt que prévu et d’où elle ne l’aurait jamais vu venir puisqu’elle aura finalement été la première de 26 victimes. Tragique histoire, mais ce n’était pas d’elle dont j’avais globalement le goût de parler.
Ces adeptes de la fin du monde sont partout et il est possible de trouver de tels survivalistes sans avoir à fouiller les cavernes, les grottes et autres huttes d’ermites. Ils auraient même plutôt tendance à vivre une vie assez normale et à occuper des emplois en tout genre. Il le faut bien: après tout, ils doivent continuellement stocker des réserves et tout cela doit coûter une petite fortune. Un reportage radio entendu récemment m’en a fourni une meilleure idée. On nous présentait deux de ces phénomènes, l’un vivant quelque part dans Rosemont, l’autre dans une banlieue qui est demeurée secrète. Mais tous deux avaient deux points en commun: leur croyance à cette éventuelle fin du monde et le fait qu’ils sont prêts à l’affronter, possédant chacun nourriture, eau, armes et évidemment bunker. Le fameux bunker! J’aurais du me faire vendeur de bunker, on doit très certainement se mettre riche avec tous ces paniqués de fin du monde.
Mes deux zigotos entendus à la radio n’étaient par contre pas préparés au même niveau. Celui de Rosemont (un de mes voisins?!?) avait de la nourriture pour environ 6 mois, un an en étirant la sauce. Mais l’autre, le banlieusard, est plus que prêt! Il a de la bouffe sèche en tout genre pour… 25 ans minimum!!!! Il stock tout ça depuis quand, l’animal?!? Sa maison est tant tellement truffée de cannages en tout genres et de pâtes sèches qu’il est rendu à en entreposer dans la chambre de ses enfants.
25 ans, non mais vous rendez vous compte? Il a le temps de voir venir 3 ou 4 fins du monde! 25 ans de bouffe sèche! Et il trouve que ça fait du sens!
J’ai beau essayer de comprendre, je n’y arrive pas. Qui dit fin du monde dit cataclysmes, catastrophes, on peut imaginer des centaines de scénarios possibles. Et si c’est réellement la fin de la civilisation, alors quoi… ça vaudrait la peine d’y survivre enfermé chez soi à manger des haricots noirs pendant 25 ans? Vraiment? Ou alors certaines choses m’échappent… Et ces gens, en plus, se voient vivre dans leur bunker non seulement avec leur famille, mais également avec des invités de marque, triés sur le volet. Autrement dit, ils souhaitent recréer dans l’inconfort de leur trou à rat de survie tout ce que leur apportait la société avant la fin du monde. Ils comptent sans doute enseigner à leurs enfants. Mais enseigner quoi? On enseigne quoi à des enfants qui vivent désormais dans un monde qui n’existe plus? Les mathématiques? Les langues? La géographie? Pour quoi faire?!? À quoi cela leur servira-t-il?
Et n’oublions pas: leur enseigner à tirer. L’un des individus du reportage mentionne qu’il croit fermement qu’en quelques jours à peine, la population à l’extérieur de son bunker sera poussée au cannibalisme! La nourriture viendra à manquer en 3 ou 4 jours, les gens se battront pour de la nourriture, ils se tueront, et lui, il ne tient surtout pas à ce qu’on vienne lui prendre sa bouffe, alors il est prêt, armé comme Rambo, prêt à tirer sur tous ceux qui oseront approcher son bunker, peut-être même sur tous ceux qui ne feront que passer éventuellement dans son champ de vision. Après tout, pourquoi pas… quand on croit dur comme fer que la fin du monde s’en vient, il n’y a qu’un tout petit pas à franchir pour croire que tous les autres veulent ce qu’il possède. Enfin, tous les autres que ceux qu’il aura choisi pour vivre avec lui et les siens dans son bunker, ces heureux élus qui lui devront une éternelle reconnaissance de les avoir sauvé. D’ici à ce que le maître du bunker n’en vienne à se voir lui-même comme l’être suprême auquel les élus de son bunker doivent respect, gloire et reconnaissance… La vraie catastrophe, on la sent à plein nez: des humains enfermés ensemble durant des mois, bonjour les conflits! Quand bien même il y aurait eu une fin du monde pour vrai, la nature humaine, elle, sera encore là et elle finira tôt ou tard par faire des siennes.
Et puis, cette fameuse fin du monde, elle frappera à quelle heure, précisément? Car nos survivalistes ont beau être prêts à affronter ze end of ze world, rien ne dit qu’ils seront à la maison à l’heure H ou même au jour J… Il fait quoi, le survivaliste qui se trouve au bureau – à des kilomètres de chez lui – quand la fin du monde frappe? Est-il seulement encore en vie? Si oui, il voudra rentrer à toute vitesse à la maison, mais il ne sera pas le seul. Les déplacements seront longs et compliqués. Les ponts autour de la ville seront effondrés! (C’est la fin du monde ou ce ne l’est pas, non?) Notre survivaliste n’avait pas prévu cela, sinon il aurait aussi fait bâtir un bunker au boulot… Alors non seulement son propre retour au bunker ne sera pas facilement réalisable, mais il devra aussi penser à récupérer sa femme et ses enfants, s’ils ont eu autant de chance que lui. Avant d’apprendre tout cela, il lui en faudra du temps. Comment? Les appeler sur leurs cellulaires? C’est la fin du monde!!! TOUS les réseaux de communication seront rompues! Il n’a tout de même pas inventé des téléphones portables en bois, notre génie catastrophé?
Autre possibilité qui ferait mal paraître ces planificateurs extrêmes: la fin du monde survient pendant qu’ils sont en vacances à Cuba ou ailleurs! Alors là, ce serait la catastrophe totale: les transports paralysés, aucune façon de rejoindre leur pays. À moins peut-être qu’ils aient été prévoyants au point d’aller passer leurs vacances dans d’autres bunkers? Jolie perspective… Ou bien carrément ils ne prennent jamais de vacances, « au cas où ». De toute façon, ça doit coûter une petite fortune, 25 ans de bouffe à l’avance, toutes ces trousses de survie, l’armement, etc… Il doit bien en exister quelques-uns qui, chaque année, passent plutôt leurs vacances dans leur bunker, d’abord pour faire changement de la routine et puis aussi un peu pour se confirmer toute l’effacité de leur plan d’action et de leur futur domicile post-catastrophe nucléaire.
Ou encore ce scénario de fin du monde qui me fait plutôt rigoler quand je pense à ces survivalistes, c’est un truc inévitable, une planète entre en collision avec la Terre ou bien le soleil s’éteint ou bien la Terre elle-même explose, un truc qui ne laisse aucune chance à personne… Ils font quoi, ces affolants personnages? N’ont même pas le temps de s’en rendre compte! Fini, le bunker! Fini les 25 ans de haricots noirs en conserve! Fini les cours de tir à fiston au cas où les zombies attaquent! E finita la commedia!!!
Non mais 25 ans de bouffe, il est fou raide! Il va les mettre où, ses 25 ans de digestion? Surtout qu’ils se nourriront surtout de haricots de toutes sortes! À la toilette, peut-être? Les égouts fonctionneront encore après la fin du monde? Ce serait une fin du monde de luxe, alors… Ou bien à chaque envie, il va aller faire ça « dehors »? Il aura l’air intelligent, toujours à aller chier avec sa carabine… On lui souhaite d’avoir acheté pour 25 ans de papier-cul aussi… Il y en a même un qui parlait de se faire du spaghetti une fois de temps en temps. C’est qu’elles vont fournir, ses génératrices! Avec un peu de chance, il aura même le câble. La fin du monde HD, haute débilité…
Et si par malchance la fin du monde ne frappe pas dans quelques jours, ni non plus dans quelques mois ou années, ces gens-là continueront probablement à stocker leurs réserves. Notre bonhomme qui en a déjà pour 25 ans n’a que 45 ans. Si aucune fin du monde n’a eu lieu dans 25 ans, il en aura stocké pour combien d’années encore? Quel héritage à laisser à ses enfants. J’imagine la scène chez le notaire, mal à l’aise, qui lit: « Je lègue à mes enfants les 10 000 conserves de haricots en tout genre… » De l’argent, monsieur le notaire? « Non. Il a tout flambé en kits de survie. Mais vous pouvez toujours revendre les cannes… »