Importante ou pas?

Le 8 mars dernier, comme chaque 8 mars, était célébrée la Journée internationale de la femme. Officialisée par les Nations Unies en 1977, la journée de la femme a pour but de célébrer les droits des femmes partout dans le monde. Certaines associations de femmes militantes organisent des manifestations pour revendiquer certaines choses tandis que d’autres préfèrent plutôt célébrer les avancées faites au cours des années. Il s’en trouvera certainement aussi pour profiter de la journée pour réfléchir sur l’état des femmes dans certains recoins du monde ou dans certains domaines au sein de leur propre société.

Quoi qu’il en soit, cette journée internationale de la femme dérange aussi certaines personnes. Plusieurs hommes considèrent qu’il est ridicule de dédier ainsi une journée aux femmes alors qu’ils n’en voient pas une seule officiellement consacrée aux hommes, et certains trouvent que les femmes ont déjà officiellement leur journée et que celle-ci s’appelle tout bonnement la Saint-Valentin. Il existe aussi des femmes qui voient d’un mauvais œil cette journée de la femme pour une raison ou une autre. Ceux et celles qui s’opposent à la journée de la femme sursauteraient certainement en apprenant qu’en Russie ainsi que dans plusieurs pays issus de la dissolution de l’URSS, la journée de la femme est décrétée jour férié et que la tradition veut que ce jour-là, on fête les femmes en leur envoyant des cartes postales spéciales ainsi que des fleurs en plus de leur téléphoner pour leur souhaiter bonne fête.

Pour autant que je sache, rien de tel ici. Les médias soulignent l’événement chaque année, ce qui en irrite certains tandis que d’autres se trouvent agacés de l’irritation des premiers. Un sondage récent sur le site web de La Presse posait la question ainsi: « Selon vous, la Journée internationale de la femme a-t-elle toujours sa raison d’être? » Plus de 13 000 internautes se sont donnés la peine de répondre, et ils sont extrêmement divisés sur la question puisque seulement 51% osent répondre positivement. Je n’irai pas jusqu’à prétendre que le 49% ayant répondu « non » est constitué uniquement d’hommes même s’il aurait été intéressant de connaître le sexe des répondants dans ce cas-ci. Le résultat du sondage ne me surprend guère, mais la question, elle, me chicote un tantinet. C’est le « toujours » qui donne à la question un petit ton d’exaspération. On sent que le terme est appuyé, comme s’il était en caractère gras ou en italique. La question n’est pas de savoir si la Journée de la femme a sa raison d’être, mais si elle a toujours sa raison d’être. Le toujours est presque suggestif et en ce sens, il me dérange parce qu’il donne l’impression d’un peu biaiser la question. Le toujours peut sous-entendre toutes sortes de choses. Il peut vouloir dire « après toutes les avancées obtenues par les femmes ». Certains lecteurs ont peut-être répondu à la question en voyant la chose sous cet angle. Mais il peut aussi signifier « a-t-on ENCORE besoin de souligner cela? » Une certaine part des répondants avait probablement en tête une vision semblable, ou encore peut-être même une autre encore moins positive. Autrement dit, la question ne paraît neutre qu’en surface, mais en se la posant sous un angle précis ou avec un ton particulier, on arrive déjà à lui donner une certaine direction.

Le fait de demander si cette journée a toujours sa place me dérange également pour une autre raison. La Journée de la femme n’existe que depuis 1977, soit tout juste depuis 36 ans. C’est à peine la moitié de l’existence moyenne d’une femme, du moins d’une femme qui a la chance de naître dans un pays occidental, riche et moderne comme peut l’être le Canada. C’est très peu, 36 ans, pour calculer un impact sur l’ensemble d’une population donnée. C’est quoi, une, deux générations? Les femmes qui étaient à l’école en 1977 n’ont pour la plupart pas atteint l’âge de la retraite et sont donc encore sur le marché du travail. Celles qui étaient toutes jeunes ou qui sont nées cette année-là ou même après n’ont pas encore mis l’ombre du gros orteil dans leur ménopause. Celles-là, pour la grande majorité, sont actives en tant que mères ou femmes de carrière ou même carrément les deux. Pourquoi, alors, poser la question en spécifiant ce « toujours » comme une suggestion subtile sur la réponse à donner? Pour pouvoir éventuellement titrer quelque part en grosses lettres que « la moitié des québécois pense qu’on pourrait laisser tomber la Journée internationale des femmes »?

Une femme qui avait 40 ans en 1977 et qui en a donc aujourd’hui 76 serait relativement bien placée pour évaluer de l’importance d’une telle journée ou pour en parler en grande connaissance de cause. Elle a connu une enfance qui diffère énormément de celles que vivent les gamines du 21e siècle. Même sa vie de jeune adulte et probablement de femme mariée, à une époque où l’on se mariait encore parfois par obligation et à cause de la pression sociale et familiale, se sera avérée dans l’ensemble très différente de la vie des jeunes adultes féminines des récentes années. Avoir 20 ans en 1957 ou en 2007, on ne peut pas dire que ce soit la même chose à tous les niveaux.

Est-ce simplement à cause de la Journée de la femme que les choses ont changé? Bien sûr que non. En fait, il est probablement impossible de juger avec précision l’impact réel et concret de cette journée en le quantifiant. Mais je trouve que de commencer à sous-entendre que l’on pourrait peut-être s’en passer, c’est pousser le bouchon un peu loin. D’abord à cause de la relativement courte période de temps pour juger des effets et des impacts de la journée: 36 ans, c’est trop peu pour juger de tout cela. Et puis, il y a aussi quelque chose de pervers à questionner les gens d’une société précise en y plaçant ce « toujours » au milieu de la question. En-a-t-on encore besoin, ici? Ce serait déjà une question plus pertinente à mon avis. Mais peut-on ignorer le reste du globe? Et puis, les choses vont-elles si bien pour les femmes en Occident? Ce n’est pas parce qu’on ne les force pas à porter le voile, à se faire exciser ou à subir la lapidation pour avoir commis le crime d’être violée que tout est parfait. Loin de là.

D’ailleurs, pourquoi une seule journée de la femme? Et pourtant, ce 8 mars dérange beaucoup de gens. Ce n’est qu’une seule journée dans l’année. Une seule. Il n’existe pas de journée du Canadien de Montréal, et pourtant on en entend parler tous les jours, même au beau milieu du mois de juillet! La chose ne doit pas être différente un peu partout dans le monde pour telle équipe de soccer ou telle autre de rugby. Mais une seule journée de la femme dérange!

Qu’en serait-il si on décrétait… plusieurs journées de la femme? La question vaut la peine d’être abordée, ne serait-ce que sur un mode plutôt badin…

La chose serait-elle même possible mathématiquement? Partons du principe que nous sommes, sur la planète, sensiblement moitié des hommes et moitié des femmes (même si ce n’est pas tout à fait le cas). Pourrait-on simplement viser une égalité homme/femme en séparant de façon égale l’année pour offrir aux hommes et aux femmes la même part de journées? Même pas! Il y a 365 jours dans une année, alors forcément l’un des sexes aurait une journée de plus qui lui serait consacré que l’autre sexe! Faudrait-il alors attendre les années bissextiles pour satisfaire tout le monde? Même en séparant par semaine, on frappe le même mur puisqu’une semaine compte 7 jours… Par mois, alors? Il y a 12 mois! On pourrait choisir six mois comme étant les mois de la femme et les six autres seraient les mois de l’homme, quitte à les choisir en alternance. Mais encore là, certains mois comptent plus de jours que d’autres, et le sexe qui se retrouverait avec l’infâme mois de février crierait forcément à l’injustice, même lors des années bissextiles! Le cauchemar ultime serait de séparer les heures, 12 pour les femmes, 12 pour les hommes, imaginez l’horreur de celui ou celle qui voyage et qui se retrouve à traverser quelques fuseaux horaires et qui constate que sa journée compte plus d’heures du sexe opposé que d’habitude…

Non, vraiment, il vaut mieux en rester là pour l’instant. Un seul 8 mars pour garder les mécontents de la même humeur en attendant que les Nations Unies décrètent la Journée internationale du bougonnage, et celle, plus vitale encore, du sondage biaisé…

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